15/01/2019

Interview de Benoît Petit

Benoît Petit, collabocréatif

Benoît Petit, Collabocréatif, Edtech, interview, Ecole numérique

Conseiller pédagogique

Je travaille au sein du RÉCIT, plus spécifiquement au service national dans le domaine du développement de la personne. Je m’intéresse à l’utilisation du numérique pour favoriser l’apprentissage et aux questions éthiques entourant les usages du numérique en contexte scolaire et même plus largement. Je travaille en collaboration avec des centaines de conseiller-ère-s pédagogiques, d’enseignant-e-s, de directions, d’universitaires et autres professionnel-le-s partout au Québec. Je valorise beaucoup la collaboration et la créativité.

Vous avez rédigé un rapport « Développer la citoyenneté à l’ère du numérique – Portrait de la situation au Québec et recommandations ». Comment peut-on définir, en quelques phrases, la citoyenneté numérique ?


En fait, je préfère nettement parler de développer la citoyenneté à l’ère du numérique. En effet, je ne considère pas qu’il existe une citoyenneté dite « numérique » à proprement parler, puisque cette dernière s’exprime tout autant à l’extérieur de la sphère technologique. Toutefois, l’ère du numérique vient changer de façon impérative la manière dont s’exerce la citoyenneté en lui donnant de nouvelles possibilités et soulevant de nouveaux défis, notamment éthiques. Face à ces défis, plusieurs ont introduit des programmes dits de citoyenneté numérique. Ceux-ci proposent généralement des activités visant l’adoption de comportements souhaitables dans différents contextes. Toutefois, selon moi, l’exercice de la citoyenneté ne peut se limiter à l’adhésion à un agir acceptable, et ce, pour plusieurs raisons. En voici quelques-unes.
Premièrement, il est utile de se demander de quelle citoyenneté l’on parle. La plupart des définitions actuelles associent citoyenneté et nationalité et, ce faisant, s’actualisent plutôt mal au contexte numérique où les interactions n’ont que peu de frontières physiques. C’est pour cette raison que j’adhère à la définition de citoyenneté mondiale proposée par l’UNESCO en 2015. Celle-ci fait davantage référence au sentiment d’appartenance à une humanité commune. Elle est inclusive et ne peut servir à discriminer des personnes en fonction de leur contexte. Comme ces contextes peuvent être extrêmement variés, ce qui peut paraître acceptable ou non dans une situation pourrait en être tout autrement dans une autre. Exercer sa citoyenneté à l’ère du numérique, c’est notamment avoir la capacité de prendre en compte cette diversité, de faire preuve d’ouverture et de chercher à comprendre le point de vue de l’autre.

Deuxièmement, le fait de connaître ce qui semble acceptable ou non ne garantit en rien l’adoption de tels comportements. Il me semble donc utile de développer l’autonomie éthique plutôt que la bonne conduite. C’est pourquoi, avec mon équipe, nous avons développé le modèle que nous avons appelé le « Processus d’autonomisation éthique ». Nous sommes encore à l’étape de développement de ce modèle. Bien qu’il soit déjà rendu public, nous le voulons évolutif et le plus consensuel possible. Il fera donc certainement l’objet de commentaires et de modifications au cours des prochains mois. Nous devons encore l’ancrer dans de solides bases théoriques puisqu’il n’est que sous forme de schéma pour le moment.
développer sa citoyenneté à l'ère du numérique

Troisièmement, comme le propose notre modèle, l’exercice de la citoyenneté à l’ère du numérique demande à l’apprenant de développer un ensemble de capacités cognitives et d’aptitudes socioaffectives. Par exemple, il me semble beaucoup plus important de s’intéresser à la capacité de nos élèves à mener une réflexion éthique sur des enjeux du numérique, de prendre en compte un ensemble de points de vue, de chercher collectivement des avenues favorisant le mieux vivre ensemble que de savoir « bien agir » dans un contexte en particulier, car celui-ci pourrait évoluer. En effet, l’évolution incessante des technologies, des mœurs, des valeurs et des normes dans le temps fera en sorte que ce qui peut paraître acceptable aujourd’hui ne le sera plus demain.

Par ailleurs, l’arrivée des données de masses et de leur traitement algorithmique a comme conséquence la régulation de nos comportements. En effet, le profilage de chaque individu et l’accès personnalisé à l’information font en sorte de conditionner notre agir. Toutefois, les règles qui régissent ce filtrage de l’information sont souvent obscures et laissées au bon vouloir d’entreprises privées. Nos sociétés ont de plus en plus de difficultés à encadrer leur développement et leurs impacts. C’est pourquoi il me paraît essentiel de favoriser l’autonomie.

L’on pourrait donc définir l’exercice de la citoyenneté à l’ère du numérique comme étant la prise de pouvoir d’action personnel et collectif dans la recherche du mieux vivre ensemble.

Le rôle du chef d’établissement et des enseignants est important. Quels types d’actions peuvent-ils mener ?


Le rôle de ces acteurs est essentiel dans le développement de la citoyenneté à l’ère du numérique. Déjà, plusieurs de leurs actions y contribuent grandement. Le simple fait d’apprendre à vivre dans une collectivité, l’école, à réfléchir sur le sens des normes et des valeurs qui régissent son fonctionnement, à tenir compte des besoins des autres, à s’éveiller à la patience, à l’ouverture à l’autre, à la bienveillance, à l’empathie, à la solidarité, etc. font œuvre utile. Voici quelques exemples d’actions à mener en classe :
10 pistes à explorer en classe, citoyenneté

Toutefois, l’un des défis premiers à relever est de permettre à tous les acteurs de mieux comprendre les enjeux relatifs à l’ère du numérique, à commencer par les personnes qui dirigent nos établissements et qui ont en charge la responsabilité des apprenants. Il est donc important pour chacun de s’engager, dans le cadre de son développement professionnel, à mieux comprendre le numérique, son fonctionnement, ses possibilités, ses impacts et ses défis. Cela peut passer par l’utilisation des technologies numériques en cherchant à mieux comprendre leur fonctionnement, par la formation, par le partage en communauté de pratique, par la recherche individuelle et collective, par le réseautage, etc.

Les parents sont les premiers éducateurs. Comment peut-on les impliquer ?


L’implication des parents est évidemment un facteur gagnant en éducation. Chercher la coéducation avec eux peut s’avérer efficace. On pourrait leur proposer de se donner des temps de partage et de réflexion avec leur enfant sur leur utilisation du numérique. Les inviter à trouver ensemble des balises de cette utilisation qui permettrait de favoriser les valeurs qu’ils souhaitent promouvoir. Impliquer son enfant dans l’élaboration des règles de vie à la maison est une façon de l’outiller afin qu’il devienne lui-même autonome dans son utilisation du numérique.

Bien sûr, par leurs encouragements, les parents peuvent également contribuer à favoriser l’estime de soi de leur enfant en lui faisant confiance pour faire face aux problèmes qui se présentent à lui. Toutefois, dans le cas où des parents manifesteraient leur impossibilité à exercer ce rôle, cela ne saurait, en aucun cas, devenir une raison valable pour que l’école se désengage face à ces jeunes. Bien au contraire, cela signifierait que l’école a la responsabilité de redoubler d’ardeur pour permettre à ceux-ci de réaliser les mêmes apprentissages que leurs pairs et devenir, eux aussi, des citoyennes et des citoyens à part entière à l’ère du numérique.

Quelle est votre appli préférée ?


Je n’ai pas d’appli préférée en soi, car c’est l’utilisation que l’on en fait qui importe le plus, selon moi. J’ai toutefois des critères m’incitant à en adopter certaines plus que d’autres :

- interopérable (peut-elle fonctionner avec une diversité de technologies?);
- flexible (peut-elle réaliser plusieurs tâches différentes, voire pour lesquelles elle n’avait pas été prévue au départ?);
- simple (est-elle facile à utiliser, son usage est-il intuitif?);
- créative (permet-elle de produire du contenu, d’organiser la pensée, de favoriser la réflexion au travers de créations?);
- collaborative (permet-elle de travailler en collaboration, de partager, de rendre librement accessibles ses productions?).

Voilà ! Une belle année 2019 à vos lecteurs qui nous permettra collectivement de mieux exercer notre citoyenneté à l’ère du numérique!





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