15/12/2019

Interview d'Arnaud Mercier

Professeur en Information et communication

Arnaud Mercier, interview, école numérique 37

Arnaud Mercier

Lauréat de l'IEP de Paris et docteur en science politique, il est professeur en Information et communication et directeur des études à l’Institut Français de Presse (université Paris2 Assas).
Premier président du site d'information The Conversation France, créateur d’une licence professionnelle en webjournalisme à Metz dès 2009, il est l'auteur de nombreuses publications académiques sur les évolutions numériques du journalisme, la communication politique, le traitement journalistique de l'actualité, et l'usage des réseaux socionumériques par les citoyens, les politiques et les journalistes.

Comment s’informent les jeunes d’aujourd’hui ?

Beaucoup de jeunes s’informent en combinant en priorité l’internet et la télévision. Les grandes radios généralistes et la presse écrite deviennent les grands absents de leur bouquet d’information. Sur internet, l’accès à l’information passe d’abord par les réseaux socionumériques, en mélangeant allègrement des messages provenant de médias ayant acquis une notoriété, avec des messages venant de nos pairs et/ou de sites pas toujours très fiables, sans qu’une hiérarchisation claire se dessine chez certains jeunes internautes. A la télévision, ce sont surtout les chaînes d’information continue qui captent l’attention. 

En quoi cette nouvelle façon de s’informer n’est pas neutre ?

Trois éléments principaux sont à mettre en exergue dans ce nouvel écosystème socionumérique de l’information.

  1. Les réseaux socionumériques représentent une désintermédiation journalistique. Les internautes considèrent qu’on peut arriver à se passer de la médiation obligée de journalistes pour accéder à l’information, car ils ont accès directement à des sites ou des blogs plus ou moins amateurs qui sont susceptibles de leur offrir l’information que les publics de ces sites veulent entendre, notamment parce que cela conforte leurs opinions acquises. Plein de biais cognitifs sont activés qui nous font traiter l’information reçue de façon mal appropriée, comme par exemple croire à une “information” reçue plus parce qu’on fait confiance à “l’ami” qui nous l’adresse que parce qu’on connaît et estime la source journalistique qui a produit le contenu.
  2. En conséquence les risques de confusion des sources s’accroissent. Un contenu d’un blog douteux peut-être mis sur le même plan dans l’esprit des jeunes internautes qu’un article issu d’un journal de qualité. On assiste à une déhiérarchisation de l’information, où tout semble se valoir, alors que des sites médias respectent des règles professionnelles et déontologiques de traitement de l’information avant de publier, gages de qualité, ce qui n’est pas la cas de toute une série de sites dont les contenus publiés sont au mieux approximatifs, au pire mensongers et manipulateurs.
  3. L’accès aux sites d’information à la suite d’un clic effectué sur un message reçu sur son fil Twitter ou Facebook, génère pas mal d’incertitudes dans l’esprit des internautes sur la valeur de cette source, avec une méconnaissance parfois sidérante de la ligne éditoriale du journal sur lequel ils arrivent par le hasard des recommandations reçues. En conséquence, émerge une délinéarisation de la consommation d’information sur les sites de médias, puisqu’on y accède par bribes, au hasard, sans connaissance préalable claire des options idéologiques et des orientations éditoriales du site. On ne perçoit pas la totalité de la ligne éditoriale du journal, ni même la totalité des sujets traités dans une même édition, ce qui génère des contresens, des incompréhensions, etc.  

Comment les enseignants peuvent accompagner les élèves à mieux s’informer ? 

Dans un univers d’information si bouleversé, où les contenus publiés sont pléthoriques (on parle même d’infobésité), où on est sollicité en permanence sur nos comptes de réseaux sociaux, se repérer est devenu très difficile.
L'éducation, une nécessité
L’éducation aux médias et à l’information est devenue plus nécessaire que jamais. Il faut agir dans plusieurs directions évidemment, tant la tâche est immense ! On peut sensibiliser les élèves aux biais cognitifs qui nous gouvernent afin d’apprendre à modérer nos impulsions, à acquérir un réflexe critique vis-à-vis de ce qui nous pousse à aimer et partager des contenus d’actualité. On doit aussi apprendre aux élèves à repérer des indicateurs de qualité sur les sites afin de les aider à se construire leur hiérarchie éclairée des sites d’information. Il faut aussi les sensibiliser à l’esprit de responsabilité, en montrant que chacun désormais participe à l’écosystème d’information puisqu’il devient relais de transmission de contenus. En conséquence, il nous appartient de procéder à un travail de tri et de vérification minimale de la valeur de ce qu’on partage, en se disant que le doute (est-ce vraiment vrai ?) ne devrait pas profiter à la diffusion mais nous inciter à retenir notre pouce et ne pas liker ou partager. Enfin, une éducation critique au doute méthodologique cartésien doit être reprise à la base, car on voit beaucoup de contenus fautifs voire faux circuler au nom de la revendication de “l’esprit critique”, ce qui s’assimilerait (à tort) à la remise en cause de contenus pourtant vrais mais qui ont le malheur d’être produits par des figures d’autorité, dont il faudrait se méfier par essence. Or ce n’est pas faire preuve d’un esprit critique acéré que de refuser l’idée qu’il puisse exister des figures d’autorité, qui construisent leur autorité intellectuelle sur l’affichage et le respect de procédures pertinentes de traitement des faits et des connaissances. Apprendre à situer où il convient l’esprit critique est une impérieuse nécessité.

Pour vous, comment lutter contre les fausses informations ?

Le sujet est si vaste que je ne peux répondre en détail. Restons-en à quelques principes simples. Il faut faire douter ceux qui doutent. Beaucoup de fake news prospèrent et séduisent parce qu’elles savent s’appuyer sur des micro-détails pour faire douter des faits. Alors, il faut faire douter ceux qui sont prompts à douter en produisant des contre-arguments aux fake news afin de rétablir un équilibre. Mais il faut le faire en utilisant les mêmes armes que l’adversaire. Si une fake news circule bien grâce à une petite vidéo virale sur YouTube, c’est avec le même support qu’il faut répondre. Car répondre par l’entremise d’un texte long et charpenté de trois pages à un vidéo-montage de 50 secondes nerveux et empli de raccourcis approximatifs et fautifs, c’est courir à l’échec persuasif !

Comme pour chaque interview, quelle est l’appli que vous souhaiteriez mettre en avant ?

InVID pour In Vidéo Veritas. Il s’agit d’un magnifique et très pertinent outil de recherche de photos ou de vidéos pour retrouver la date de publication originelle de ces documents. C’est très utile car bien des fake news détournent des contenus et images déjà parues dans la presse ou sur des plateformes numériques, en dramatisant les enjeux. Avec InVID il est très facile de tracer les diverses versions d’un même document visuel afin de s’assurer qu’une photo ou vidéo sont originales ou exploitées de façon à manipuler l’opinion en étant détournées de leur contexte d’origine.

Retrouvez Arnaud Mercier :
Twitter : @ArnauddMercier
Éditions de la Maison des sciences de l'homme, #info
http://www.editions-msh.fr/livre/?GCOI=27351100210810&fa=description

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